Bulletin n° 63

mardi 10 décembre 2013

ÉDITORIAL

Chers amis,

Le Bulletin change, insensiblement. Il fut un temps où la simple mention
du nom de Perec, au détour d’un entretien, d’un article, d’une critique,
était scrupuleusement notée et répercutée dans ses pages. Il en était de
même pour les occurrences de « Je me souviens » ou de « X mode
d’emploi ». Devant la multiplication de ces mentions, il n’est plus possible
d’être aussi exhaustif et scrupuleux, et le renvoi à Perec, devenue coutumier, a perdu de sa valeur et de son importance. Perec et ses phrases ont pris possession de l’espace public. Parler d’invasion serait exagéré mais il
faut bien dire que la référence perecquienne obligée peut agacer. En
témoigne un article de Pierre Marcelle paru dans Libération du 27 mai
dernier :

« [ …] Tiens, l’autre nuit, sur des ondes insomniaques, l’évocation
d’une énième réédition, chez l’éditeur Fayard, du Je me souviens, de
Georges Perec, et ça n’a pas traîné : ces remembrances nostalgiques
du maître de l’OuLiPo, il fallut que la préposée à leur promotion
les assimilât, de façon inepte autant que grossière et au seul prétexte
de leur format, à des tweets ! Et pourquoi pas non plus les délicieuses
Nouvelles en trois lignes, de Félix Fénéon ? Cette aberration bien
dans l’air du temps, il ne nous a pas fallu chercher longtemps pour
en découvrir l’origine. Elle réside dans un opuscule très léger en
texte, très pauvre en sens, très cher en prix et très universellement
promu, édité par Albin Michel et signé Bernard Pivot-del’Académie-
Goncourt (Les tweets sont des chats) […] »

Avant Pivot, on a eu droit aussi ces derniers mois, au « Je me souviens »
de Pontalis, à celui de Gilles Jacob, la rentrée littéraire a vu les critiques
ressortir Perec à propos des livres de Thomas Clerc, de Yannick
Haenel… On peut s’en lasser, on peut comme Pierre Marcelle s’en
fâcher. On peut aussi voir cela comme un signe de bonne santé pour
l’oeuvre perecquienne et faire le tri entre ce qui est pertinent et ne l’est
pas. C’est ce que ce Bulletin s’efforce de faire.

Philippe Didion