Disparition de Suzanne Lipinska

mercredi 5 octobre 2022

Suzanne Lipinska, Suzanne, qui demandait à ses amis, et même à ses connaissances, de tout aussi bien l’appeler Suzon, nous a quittés dans la nuit du jeudi 29 septembre 2022. Sa vitalité était telle que, bien sûr, nous avions tous fini par la croire un peu moins mortelle que d’autres.
Quelle tristesse d’être aujourd’hui démentis !
Avec elle, c’est l’animatrice infatigable d’une aventure et d’un lieu exceptionnels, mais aussi un grand témoin de la vie et de l’œuvre de Georges Perec et une belle amie de notre association qui disparaît.
Les 8 et 9 juin 2019, nous avions organisé en son Moulin d’Andé les journées Génération Perec # 3 et nous nous souviendrons longtemps de son hospitalité – une hospitalité qu’elle prodiguait sans compter et sans considération de rien, toujours attentive à tout, le regard à la fois bienveillant et malicieux. Il est peu étonnant que tant de créateurs et de visiteurs se soient aussi rapidement sentis, chez elle, chez eux.
À cette occasion, nous nous étions entretenus de « Georges » dans la salle du Théâtre. Mais comme d’habitude, elle n’en dit ce jour-là presque rien – qu’elle n’avait de toute façon déjà dit ailleurs –, esquivant habilement toute approche personnelle. De son histoire d’amour avec Perec, de sa fulgurance, de sa brièveté et de la très longue douleur qui s’ensuivit pour lui, elle réussit à n’en pas dire un seul mot. Ce qui l’intéressait vraiment, c’était évident, c’était l’avenir, moins le sien que celui du Moulin d’ailleurs !
Nous nous souvenons aussi de sa peu commune générosité lorsqu’elle offrit à l’AGP l’ensemble unique des dessins, encres et gouaches de Perec réalisés à Andé, aujourd’hui l’un de nos trésors.
Je me rappelle son arrivée à Rabat, au début du mois de novembre 2000, pour le colloque « L’Œuvre de Georges Perec » : réception et mythisation à l’université Mohammed-V auquel je l’avais invitée. Pour la petite exposition que nous organisions à cette occasion dans quelques salles de la faculté des lettres, elle avait apporté le manuscrit de La Disparition que lui avait offert Perec. Rien de moins ! Et en toute confiance, avec cette espèce de désinvolture noble qui la caractérisait, elle m’avait le plus simplement du monde placé entre les mains la précieuse archive, sans rien demander de plus que de la lui rendre avant son départ.
Moins doué qu’elle pour la générosité désinvolte, je crois que j’en ai mal dormi toute la semaine que dura l’événement.
Naturellement, j’étais moi aussi immédiatement tombé sous son charme, car Suzanne fut imperturbablement séduisante.
Puisse le Moulin conserver longtemps son souvenir et son héritage.

Jean-Luc Joly

NB : un hommage public sera rendu à Suzanne Lipinska au Théâtre du Moulin d’Andé le vendredi 7 octobre à partir de 15h.

Suzanne Lipinska à Andé en juin 2019 (photo M.-C. J.)